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Le magazineActivating Captions présente des textes d'écrivain.e.s sur l’art, d'universitaires et de poètes qui réfléchissent au sous-titrage à partir de perspectives et d'expériences personnelles. Lire la suite.
Selected article:
Emily Watlington
Culture des Légendes
La dernière fois que j'ai fait le point sur le travail que font les artistes s/Sourds et handicapés pour interroger l’usage des sous-titres et légendes dans la vidéo, c'était pour mon essai paru dans Mousse en 2018, intitulé “Critical Creative Corrective Cacophonous Comical: Closed Captions.” J'étais (et je reste) intéressée par l’idée d’utiliser l’art pour, premièrement, pointer les effets du manque trop fréquent du sous-titrage, mettant souvent les spectateurs dans la position des membres du public s/Sourd qui ratent des informations ou le sens d’une blague.
Deuxièmement, pour critiquer leur insuffisance – souvent avec une dose d'humour – en soulignant l'absurdité qui se produit lorsqu'on essaie de traduire des sons en mots et les erreurs qui proviennent de l'automatisation, ou pour déplorer le fait que les vidéos privilégient généralement les personnes entendantes et voyantes. Et troisièmement, pour montrer la voie ou imaginer le prototype d'une forme de vidéo à laquelle on peut accéder de multiples façons et de manière flexible.
Les choses ont changé en 2018, et pourtant, à bien des égards, elles n'ont pas changé. Le nombre d'artistes qui ont rejoint l'appel lancé en faveur de médias plus accessibles a encore augmenté : je suis particulièrement enthousiasmé par la vidéo El Dios Acostado (2020) d'Alex Dolores Salerno, une vidéo qui s’intéresse non seulement à l'accès sous forme de légendes, mais aussi à l’accès sous forme de sous-titres (alors que les premières traduisent tous les sons, les seconds se concentrent sur les dialogues parlés, et traduisent souvent d'une langue à l'autre). En 2020, Netflix a lancé une série, Deaf U, qui est principalement en langue des signes américaine (ASL) : ici, ce sont les membres du public qui ne connaissent pas l'ASL qui se fient au sous-titrage. Parasite (2019) a remporté l'Oscar de la meilleure image : c'est le premier film non anglophone à y parvenir, ce qui signifie que les membres de l'Académie ont dû s'en remettre aux sous-titres. Et on me dit que, sur TikTok, les vidéos avec légendes sont plus ou moins la norme – contrairement à Instagram et à d'autres plateformes. Il est de plus en plus clair que désormais, nous sommes tous des producteurs de contenu responsables du sous-titrage et de la description des éléments que nous partageons sur les médias sociaux.
Malgré cette évolution encourageante et la célébration croissante de la culture du handicap dans le monde de l'art, je ne suis pas convaincue que cela se traduise dans les arts par une amélioration de l'accessibilité telle qu’elle devrait être. J’ai pu voir, parmi d’autres créations ahurissantes, un programme vidéo dépourvu de légendes, mais intitulé d’après une œuvre sur le thème du sous-titrage réalisée par un artiste handicapé, et j’ai aussi en mémoire de nombreux essais qui traitent le handicap comme s'il s'agissait d'un dilemme théorique, plutôt que d'une réalité vécue et politisée. Bien que les artistes aient été les premiers à imaginer un média du futur accessible, on est loin ici de la situation où l’avant-garde s'infiltre dans le grand public: en matière d'accès, l'art est loin derrière les médias traditionnels. L'œuvre A Recipe for Disaster (2018) de Carolyn Lazard le montre clairement: iels s'approprient un épisode de l'émission télévisée de Julia Child sur WGBH, “The French Chef“, la première émission de télévision à avoir des sous-titres ouverts, donc qui ne peuvent pas être activés ou désactivés. J'ai du mal à comprendre comment le monde de l'art peut célébrer la culture du handicap sans tenir compte des appels à un meilleur accès lancés par les artistes handicapés. Nous voici donc en train de poser la question une fois de plus.
Emily Watlington est écrivaine, commissaire et rédactrice adjointe à Art in America. Elle écrit sur des sujets tels que l'art, le design, l’équité pour les personnes handicapées et le féminisme. En 2018, elle a reçu le prix Vera List (qui récompense l’excellence dans l’écriture sur les arts visuels) et, en 2020, le Theorist Award de C/O Berlin.
Note de traduction : nous avons traduit le mot anglais « d/Deaf » originalement utilisé dans le texte en « s/Sourds ». En anglais « petit D sourd » désigne les personnes qui sont médicalement sourdes, mais qui ne précisent pas nécessairement qu’elles s’identifient avec la communauté sourde. Le mot « grand D sourd » a une connotation plus activiste et désigne les personnes sourdes qui se reconnaissent dans la culture sourde. Voir par exemple: https://cad.ca/fr/dossiers-sur-la-surdite/la-terminologie.
Emily Watlington est écrivaine, commissaire et rédactrice adjointe à Art in America. Elle écrit sur des sujets tels que l'art, le design, l’équité pour les personnes handicapées et le féminisme. En 2018, elle a reçu le prix Vera List (qui récompense l’excellence dans l’écriture sur les arts visuels)et, en 2020, le Theorist Award de C/O Berlin.
Note de traduction : nous avons traduit le mot anglais « d/Deaf » originalement utilisé dans le texte en « s/Sourds ». En anglais « petit D sourd » désigne les personnes qui sont médicalement sourdes, mais qui ne précisent pas nécessairement qu’elles s’identifient avec la communauté sourde. Le mot « grand D sourd » a une connotation plus activiste et désigne les personnes sourdes qui se reconnaissent dans la culture sourde. Voir par exemple: https://cad.ca/fr/dossiers-sur-la-surdite/la-terminologie.