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Le magazineActivating Captions présente des textes d'écrivain.e.s sur l’art, d'universitaires et de poètes qui réfléchissent au sous-titrage à partir de perspectives et d'expériences personnelles. Lire la suite.
Selected article:
Niels Van Tomme
Des sous-titres aux légendes, et à plus encore
J'ai grandi en Belgique, un pays officiellement trilingue, où le néerlandais et le français étaient les langues prédominantes dans des régions linguistiques clairement délimitées mais artificiellement construites, le néerlandais étant parlé en Flandre et le français en Wallonie. C'est en partie grâce à cette réalité multilingue compliquée que je me suis senti intimement relié au sous-titrage dès mon plus jeune âge. En tant que jeune enfant élevé en Flandre, je dépendais bien sûr – comme tout le monde dans mon groupe d'âge – des émissions télévisées originales (ou doublées) en néerlandais.
Et puis, un jour, je devins capable de lire assez vite pour faire l'expérience des sous-titres.
Un tout nouveau monde s'est ouvert devant moi. Même si les médias en néerlandais étaient parfois (mais rarement) acceptables, les productions étrangères dans leur langue originale avec sous-titres sont devenues ma préférence presque compulsive. Je considérais comme suspect tout ce qui était produit dans le pays et le soumettais à un examen beaucoup plus sévère. C'est ainsi que j’ai développé une sorte de sensibilité cosmopolite bricolée via la télévision, et j'imagine que c'est le cas pour de nombreux adolescents et jeunes adultes en Flandre, même dans un contexte de classe moyenne strictement attachée à ses préférences locales.
Puis vint la cinéphilie.
La découverte du film en tant qu'art fut un autre moment décisif. Certains films d'art considéraient le sous-titrage, ou plutôt le texte affiché sur les images, comme une partie intrinsèque de leur langage filmique, l’exemple le plus évident étant peut-être les Histoire(s) du Cinéma (1988-1998) de Godard. Mais, d’une façon plus informelle encore, les sous-titres et textes apposés sur les films incarnaient la complexité linguistique de mon contexte national. Quand on allait au cinéma en Belgique, les films étaient systématiquement sous-titrés en néerlandais et en français simultanément: les sous-titres devenaient ainsi plus que des canaux d'informations nécessaires, ils produisaient également un encombrement visuel que l’on devait dépasser. En bref: pour moi, la culture audiovisuelle et le sous-titrage sont devenus inséparables.
Puis vint la vie aux USA.
Avec ma connaissance passable, mais non native, de l'anglais, les sous-titres sont devenus nécessaires pour vivre correctement la culture audiovisuelle dans un contexte homogène de langue anglaise. Ne connaissant pas les complexités, les subtilités et les spécificités du discours et du dialecte américains, j'ai allumé les sous-titres à chaque fois que je regardais un DVD. J'ai vite découvert qu'aux États-Unis, les sous-titres n'étaient pas nécessairement là pour traduire les langues, mais pour rendre la culture audiovisuelle accessible à ceux qui en sont exclus. Je parle entre autres des spectateurs sourds et malentendants ou des personnes qui ont des difficultés à suivre les dialogues parlés, comme moi. J'ai également appris que les sous-titres étaient appelés “captions” aux États-Unis, ce qui marque le passage de la traduction de la parole à l'accessibilité des médias audiovisuels par l'ajout de descriptions d'effets sonores, tels que (le téléphone sonne). Très vite, je me suis attaché à ce sous-titrage qui est devenu une partie intrinsèque d'une expérience audiovisuelle plus qualitative, plus consciente et plus complète.
Puis vint ma collaboration avec Christine.
Les projets sur lesquels j'ai travaillé avec Christine Sun Kim ont considérablement déstabilisé ma relation nostalgique avec les sous-titres et les légendes. Bien que Christine et moi éprouvions tous les deux un penchant pour le sous-titrage, nous avons dès le départ réalisé que notre expérience de ce support était très différente, tant sur le plan de l'expérience que du contexte. De toute évidence, le fait que Christine n'entende pas et que j'entende ont été des facteurs décisifs à cet égard. Elle m'a présenté un groupe d'artistes principalement américains, dont l'utilisation progressive du sous-titrage est fortement influencée par leurs expériences directes du handicap. Ils s’approprient le sous-titrage comme un lieu d'expression conceptuelle, imaginaire, voire poétique, et le considèrent comme une partie intrinsèque de la production de films d'artistes.
Encouragés par la publication en 2018 d'un article sur les artistes utilisant les légendes par Emily Watlington – qui participe à ce projet-ci avec un nouveau texte –, nous avons décidé d'organiser Activating Captions pour attirer l'attention sur ces pratiques singulières. Nous voulions les examiner dans un contexte (de sous-titrage) européen et voir comment elles résonnent ici afin de susciter une discussion sur leurs utilisations artistiques. Intéressés au premier chef par les pratiques curatoriales appuyant le changement culturel, nous espérons défier les limites de la culture officielle des sous-titres et des légendes, mais aussi entraîner le film et la vidéo d'artiste dans une direction franchement plus inclusive et plus créative.
Niels Van Tomme (il/lui/son) est directeur d'ARGOS à Bruxelles et co-commissaire d'Activating Captions avec Christine Sun Kim. Il remercie particulièrement Sonja Simonyi pour sa contribution tout au long du processus d'écriture de ce texte.