Introduction
Introduction
Une enquête en cours
En 2018, argos initiait un projet de recherche sur les premières expérimentations de films et de vidéos d’artistes en Belgique durant les années 1970. Nous étions alors arrivé·e·s à un moment charnière dans l’historiographie de l’art : la première génération de pionniè·r·e·s de la vidéo prenait de l’âge et leurs œuvres étaient laissées à la merci du temps qui passe. Le récit tout entier de ces premières expérimentations audiovisuelles risquait d’être perdu. Comment donc cartographier un tel récit ? Comment résumer une période historique qui tentait précisément d’échapper à toute catégorisation ? Démarrant de ce riche patrimoine, nous sommes parti·e·s en quête des figures-clés et des artistes voulant raconter leur propre version de cette histoire. Les questions que nous leur avons posées constituent la première phase de la recherche.
Où trouvait-on des moyens de production à l’époque ? Où et comment étaient présentées ces œuvres vidéos ? Comment devraient-elles être montrées dans un avenir aux conditions et aux moyens technologiques différents ? Étaient-elles effectivement destinées à être conservées ? Quelles figures furent importantes dans le développement de la vidéo en Belgique ? De quelles manières ces personnes étaient-elles connectées internationalement à d’autres scènes artistiques ? Avec qui collaboraient-elles ? Comment traçaient-elles une distinction entre le film et la vidéo ?
Une série d’entretiens a permis de découvrir des artistes jusqu’à présent peu connu·e·s. Ces personnes nous ont emmené vers d’autres artistes, ainsi que vers d’autres films et vidéos pas encore numérisés. Le contour d’un réseau artistique s’est progressivement dessiné : celui des artistes dont la curiosité les a poussés à aborder le médium de la vidéo en Belgique dans les années 1970. Leurs moyens de production et leurs lieux de présentation ont été des facteurs déterminants dans ce paysage audiovisuel. L’axe géoculturel le plus important du pays s’est formé entre Anvers et Liège. La recherche a également identifié d’autres lieux de production notables à Bruxelles, Namur, Alost et Knokke.
Au terme de cette première phase, le processus de numérisation a débuté. Nous avons dressé un inventaire sur la base de ces recherches : une liste d’œuvres qui ne faisaient ni partie de notre collection, ni de celle d’autres archives audiovisuelles en Belgique. En partant à la recherche des artistes en question, et/ou de leurs héritiè·r·e·s, nous avons pu localiser un nombre considérable de cassettes vidéos. Ces objets ont été numérisés en collaboration avec VECTRACOM, CINEMATEK et Onno Petersen. Notre collection a ainsi pu être complétée et plusieurs artistes pertinent·e·s ont pu être remis en lumière.
Notre recherche n’a pas la vocation de mettre un point final au sujet, ni d’établir un canon. La pratique artistique de l’époque, souvent explorative et imprévisible, ne le permet pas. Au contraire, il nous a semblé important de souligner le caractère ouvert de ces expériences intermédiaires. De ces recherches approfondies ainsi que de nos entretiens ont émergé de nouveaux noms, de nouvelles références et d’autres films encore. Le corpus s’avère donc plus conséquent qu’on l’imagine pour une époque où l’expérimentation en vidéo était relativement limitée. Ceci constitue ainsi un point de départ : nous invitons dès lors tout·e étudiant·e, enseignant·e, chercheur·euse, artiste et critique à poursuivre l’exploration de cette période fascinante et à maintenir ainsi en vie l’héritage de ces expériences vidéographiques en Belgique. De même, nous encourageons les autres institutions à prendre soin de leurs propres collections audiovisuelles, tant que cela est encore possible. Des perles méconnues s’y cachent certainement.
Utopie vs. note de base de page
Toute recherche est arbitraire et incomplète. Nous avons choisi de baliser la période de 1970 à 1979 sachant que d’autres divisions temporelles auraient pu être tout aussi significatives. Tandis que d’autres artistes belges commencent à être intrigué·e·s par l’image en mouvement ; Marcel Broodthaers ouvrait déjà la voie en présentant des films dans un contexte d’exposition pendant les années 1960. C’est dans le cadre de l’exposition Prospekt ‘71: Projection de Konrad Fisher à Düsseldorf que Jacques Charlier, Marcel Broodthaers et Robert Stéphane rencontrent l’artiste et cinéaste allemand Gerry Schum. L’enthousiasme de Schum révèle à ses collègues belges les possibilités offertes par la vidéo. Ce nouveau médium, et plus particulièrement l’introduction de la caméra portable Portapak, a quelque chose d’utopique : toute personne, et donc tout·e artiste, a soudain entre ses mains un médium de masse. La vidéo est un format « léger » et les cassettes vidéo peuvent être copiées et diffusées relativement facilement. Jacques Charlier, l’un des premiers artistes a avoir adopter ce nouvel outil, l’exprime ainsi : « On a eu l’illusion —et Gerry Schum le premier — qu’on allait pouvoir multiplier l’œuvre et être vraiment très libre au niveau de l’expression et qu’on pourrait faire en sorte que l’art soit à la portée de tous. »
À partir de 1970, Guy Jungblut, le galeriste de Yellow Now, sa femme Andrée Blavier et l’artiste Jacques Lizène remarquent également le potentiel du nouveau médium. Cette année-là, l’artiste américano-japonais Shinkichi Tajiri enregistre plusieurs performances avec une caméra Portapak à Yellow Now, dont celles d’Otto Muehl. En 1971, le tout premier événement vidéo en Belgique, Propositions d’artistes pour un circuit fermé de télévision, se tient dans la même galerie. Dans les fiches d’artiste, les « propositions » soumises révèlent immédiatement le potentiel utopique du médium.
Il serait exagéré de prétendre que l’entièreté du monde de l’art était alors séduit par le travail de la vidéo. « Art vidéo : le vilain petit canard » écrivait en 1977 le journal De Standaard, suivi d’une déclaration sans équivoque : « L’art vidéo est un enfant à problèmes. » Selon l’auteur, les institutions artistiques ne disposent pas des équipements nécessaires à la production et à la présentation des œuvres. De nombreux artistes aujourd’hui reconnu·e·s parmi les pionniè·r·e·s belges, indiquent que leur relation à la vidéo émanait purement de leur propre curiosité, de leur méconnaissance ou parfois d’un malaise ressenti. « La vidéo, c’était comme un tube de peinture », dit Leo Copers dans une interview. Luc Deleu, quant à lui, déclare : « C’était une période où les artistes essayaient d’utiliser d’autres moyens, mais aussi tous les moyens à la fois. Je pense que le film et la vidéo se situaient dans cette atmosphère. » La vidéo n’est alors à cet égard qu’un « moyen parmi d’autres », qui vaut autant qu’un « tube de peinture », pour autant que des idées soient transmises au public. L’auteur de l’article du Standaard n’a pourtant pas tort : de nombreuses institutions ne disposent pas du matériel adéquat et, lorsque celui-ci est disponible, les artistes n’ont pas l’expertise nécessaire. Les œuvres audiovisuelles sont souvent présentées « derrière, au fond d’une pièce à part », où plusieurs vidéos tournent en boucle sur un seul écran (comme à la Videogalerie de Guy de Bruyn, rue du Bailli à Bruxelles) ou n’ont qu’un rôle accessoire. La vidéo comme une note de bas de page.
Il est également difficile de déterminer la fin de cette période artistique. Pour Flor Bex, directeur de l’ICC (Internationaal Cultureel Centrum) d’Anvers à l’époque et pionnier de la scène vidéo émergente, l’intérêt pour ce médium s’estompe déjà vers 1977. Comme le déclare Johan Pas après un entretien avec Bex : « l’évolution d’un art vidéo conceptuel-expérimental vers un art plus narratif et filmique ne lui plaît pas (Bex, N.D.L.R.) et lui semble irréel ». Certains artistes visuel·le·s s’en désintéressent aussi. Lili Dujourie l’exprime comme suit : « Je n’étais pas une artiste vidéo. J’ai utilisé la vidéo parce que le support correspondait à mes pensées, à ce que je voulais faire, à ce que je voulais dire. A partir du moment où la vidéo est devenue “vidéo”, c’était fini pour moi. » De nombreux artistes abandonnent la vidéo au moment où les techniques productionnelles et matérielles deviennent davantage sophistiquées à la fin des années 1970. Ensuite, comme l’a souligné Bex, une approche différente émergera dans les années 1980, liée à l’institutionnalisation du secteur artistique. Le temps des expérimentations utopiques sera révolu.
Moyens de production
C’est par l’intermédiaire de Shinkichi Tajiri, que Guy Jungblut et Jacques Lizène mettent la main sur une caméra Sony Portapak pour la première fois en 1970. Cependant, ceux-ci ne parviennent pas à trouver une caméra similaire pour les Propositions d’artistes pour un circuit fermé de télévision. Via Philips, ils obtiennent du matériel de surveillance : une caméra, un lecteur et un moniteur qui forment leur circuit fermé avec lequel ils se mettent au travail. Des dysfonctionnements techniques leur mettent malheureusement des bâtons dans les roues deux jours plus tard, empêchant la réalisation de nombreuses «propositions ». Les moyens techniques qualitatifs et disponibles sont le talon d’Achille de la production vidéo belge au début des années 1970.
Ici et là, quelques particuliers possèdent pourtant les moyens financiers nécessaires. Fernand Spillemaeckers, propriétaire de la galerie MTL à Bruxelles, entre autres, a pu acheter une caméra Portapak. C’est ainsi que Lili Dujourie réalise ses premières expériences vidéo entre 1972 et 1978, comme Madrigaal (1975) ou Effen Spiegel van een Stille Stroom (1976). Roger D’Hondt, fondateur de la galerie New Reform à Alost, perçoit lui aussi rapidement les possibilités de ce nouveau médium après avoir fait la connaissance de Gerry Schum et de son concept d’« exposition télévisuelle » Fernsehgalerie. Plusieurs artistes internationaux comme Raoul Marroquin et Michel Cardena ont expérimenté avec le médium vidéo à la galerie de D’Hondt. Ce dernier organise un weekend vidéo en 1974, où il met des outils de production à la disposition des artistes. Par l’intermédiaire de I.T.A. Electronics, il loue des moniteurs, des caméras, des lecteurs et un studio de montage. Seuls deux artistes — Eric De Volder et Johan
Dehollander — en font réellement usage. Selon D’Hondt, ce week-end vidéo est un échec : les artistes en Belgique manquent de connaissances techniques qui permettent d’utiliser la vidéo de manière autonome.
Néanmoins, le Internationaal Cultureel Centrum devient le lieu absolu de production et de présentation, ainsi que du savoir-faire technique requis, en matière de vidéo. Dès le début des années 1970, le réalisateur Flor Bex importe du matériel audiovisuel d’Argentine, où son ami Jorge Glusberg, directeur du Centro de Arte y Comunicación (CAYC), possède une entreprise d’électronique. Avec le caméraman et assistant de production Chris Goyvaerts, se retrouvant à l’ICC en tant qu’objecteur de conscience, Bex fait d’abord quelques essais lui-même sous le pseudonyme d’Hubert Van Es. Ils pourraient ainsi, selon lui, mieux aiguiller d’autres artistes. En 1974, Bex s’achète du matériel supplémentaire et construit peu à peu un studio dans les caves de l’ICC : Continental Video est né.
Selon Jan Debbaut, coresponsable à l’époque du département vidéo avec Bex et Jean-Paul Coenen, l’asbl Continental Video a rapidement fonctionné comme une machine bien huilée : « En fait, on peut décrire les débuts de la vidéo comme une relation triangulaire. Il y avait Flor Bex avec son réseau, puis Lu Van Orshoven de Luvox (une compagnie d’électronique) et puis le studio au sous-sol de l’ICC. Cela correspond au matériel, aux logiciels, aux personnes et au budget de l’ICC. Ce triangle a fait démarrer la vidéo à ce moment-là. » La toute première vidéo produite à l’ICC est 5 Acts on Screen (1975) de Mark Verstockt. L’infrastructure anversoise est utilisée avec enthousiasme par des artistes flamands comme Danny Matthys, Leo Copers et Lili Dujourie, mais pas seulement : il y eu aussi des artistes wallons comme Jacques Louis Nyst, Jacques Lennep ou des artistes internationaux comme Dan Graham, Lea Lublin et Fred Forest. L’ICC devient rapidement, grâce aux contacts de Bex, un centre européen important de production vidéo, aux côtés d’Art/Tapes/22 à Florence et du Lijnbaancentrum à Rotterdam, notamment.
Le Groupe CAP (Cercle d’Art Prospectif) de Liège visite régulièrement l’ICC. Leurs rapports avec Flor Bex sont fructueux et des vidéos comme Une Poussière dans l’œil (1975) de Jacques Lennep ou Ombrelle descendant un escalier (1976) de Jacques Louis Nyst sont réalisées avec l’aide de Chris Goyvaerts. Au début des années 70, le Groupe CAP travaille également avec le studio vidéo bruxellois Video Chain de Raymond Zone. Leur collaboration s’estompe cependant après un temps. C’est par l’intermédiaire d’Annie Lummerzheim, que Lennep, Lizène, Nyst et Courtois entrent ensuite en contact avec la RTC, l’antenne liégeoise de la RTBF. En 1976, Robert Stéphane, lui aussi impressionné par sa rencontre avec Gerry Schum, lance le programme Vidéographie. Ces dix années sous la direction de Paul Paquay, Annie Lummerzheim et Jean-Paul Tréfois, le programme devient le lieu incontournable de l’expérimentation vidéographique à la télévision. Des artistes tels que Jacques Charlier (Desperados Music (1979)) ou Frank Van Herck (Twins (1979)) ont l’occasion de développer leur travail avec des équipements télévisuels sophistiqués. Des travaux d’artistes vidéo de renommée internationale tels que Léa Lublin, Antonio Muntadas ou Steina & Woody Vasulka y sont également présenté·e·s.
Ici et là, certains centres culturels, en Wallonie particulièrement, commencent à posséder les ressources nécessaires. Le Groupe Ruptz, par exemple, fait ainsi usage des moyens de production du centre culturel de Namur. Dans l’ensemble, l’impact des centres culturels demeure néanmoins assez limité dans les années 1970. Il est toutefois important de noter que de nombreux artistes intéressé·e·s par la vidéo, n’ayant pas accès à du matériel, se tournent alors vers le Super 8 ou le 16mm. La distinction floue entre le film et la vidéo est explorée, souvent et délibérément. Chris Goyvaerts, par exemple, est aussi le caméraman de Lysistrata (1976), un long métrage de soft porn avec Nicole Van Goethem, Ria Pacquée et Daniël Weinberger, œuvre controversée de Ludo Mich et tournée dans les caves de l’ICC. Yes and No (1974) de Yves De Smet, entre autres, explore les limites du film : en tant qu’enregistrement, dans un contexte artistique et dans sa relation à la vidéo.
Évènements
Le premier événement vidéo du pays, Propositions d'artistes pour un circuit fermé de télévision, a lieu en 1971 à la galerie Yellow Now à Liège. Il ne s'agit pas d'enregistrements, mais de circuits fermés — une distinction que Roger D'Hondt juge également importante: « Soit on montre une vidéo qui existe (enregistrée, N.D.L.R.), soit on crée une oeuvre (installation/circuit vidéo, N.D.L.R.). Il y a une grande différence entre les deux. Bien sûr, je pourrais montrer une vidéo de Joseph Beuys exécutant quelque chose à New York, mais ce n'était pas vraiment mon truc. Je voulais plutôt que les gens créent quelque chose. » La place difficile qu'occupe la vidéo dans le monde de l'art transparaît par sa présence à EXPRMNTL 5 à Knokke en 1974. On y retrouve entre autres le célèbre TV Buddha (1974) de Nam June Paik. Le cinéma et la vidéo s’opposent, divisant le public entre critiques et admirateurs convaincus.
La présentation du nouveau médium suscite alors peu d'enthousiasme. Les critiques des journaux et des magazines ne sont pas très positives à son égard, ne sachant pas comment le situer au sein d’un art contemporain qui ose prendre des risques. La revue +/- 0, fondée par la famille Rona, est l'un des rares médias belges à lui consacrer de l’attention. Quelques journalistes décrivent la façon dont des galeries comme Yellow Now, MTL ou VEGA en explorent les possibilités. Mais la vidéo n’est jamais hissée au premier plan. « Dans les salles d’exposition, la vidéo était dans un petit coin », explique Jacques Lennep.
Certains événements sont spécifiquement dédiés à l’exploration de nouveaux médias. A la galerie de Jan Vercruysse à Gand, baptisée Elsa Von Honolulu-Loringhoven, Yves De Smet organise l’événement Kunst als film, exposant films, vidéos et diapositives. L'exposition se déroule en marge et n’intéresse qu’un groupe d’initié·e·s, mais les participant·e·s nous offrent un bon aperçu des artistes qui ont développé ces nouvelles formes d’art en Belgique.
Il existe quand même des points de référence, comme l’évènement Continentale Film- en Videotoer de 1973. Le collectif Fondation Artworker (de Chris Goyvaerts, Luc Deleu, Hugo Heyrman et Filip Francis, entre autres) transforme une grande camionnette blanche de la société Tomado en cinéma mobile. Il parcourt la Flandre offrant un vaste programme de films et de vidéos expérimentaux. La grande exposition Artists Video Tapes du 25 février au 16 mars 1975 au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles est également mémorable. Michel Baudson, l'un des principaux acteurs du développement de la scène vidéo en Belgique, s’inspire des expositions Impact Art Vidéo à Lausanne et Art Video Confrontation 74 à Paris, pour sélectionner les artistes en complétant avec plusieurs noms nationaux et internationaux. Divers moniteurs sont installés dans les espaces d'exposition, entourés de bâches en plastique pour suggérer à la fois transparence et intimité. Baudson fait également venir à Bruxelles des artistes vidéo de renom, dont Vito Acconci, Valie Export, Fred Forest, David Hall, Martha Rosler et Steina & Woody Vasulka. Inaugurée par un texte d’introduction du célèbre critique René Berger, Artist Video Tapes est l'une des expositions vidéo les plus complètes et influentes des années 1970.
La cinquième International Encounter on Video Art a eu lieu un an plus tard à l'ICC d'Anvers. Ces « Video Encounters » sont une initiative de Jorge Glusberg du CAYC (de Buenos Aires). Il s’agissait d’événements itinérants montrant la diversité de la vidéo à l’échelle globale, accompagnés par des conférences ainsi que des discussions de groupe sur le nouveau média et sa place dans le monde (de l'art).
À la fin des années 1970, un foyer culturel important se développe à nouveau à Liège au centre artistique interdisciplinaire Cirque Divers. La série de projections et de débats Vidéo ? Vous avez dit vidéo ? y offre un espace pour la vidéo et le cinéma expérimental. L’événement est organisé par trois autres acteurs liégeois : les Jeunesses artistiques de Wallonie, la RTC (Radio Télévision Culture) et la RTBF (Radio Télévision Belge de la Communauté française) avec l’émission Vidéographie. C’est aussi au Cirque Divers que Geneviève van Cauwenberge organise plusieurs projections avec Jean-Paul Tréfois. La première a lieu sur un bateau près de la Passerelle Saucy du 22 au 27 septembre 1978, avec des oeuvres de Nam June Paik, Joan Jonas et Bill Viola, entre autres. Une seconde soirée, un an plus tard, propose une vue d’ensemble de l’art vidéo belge avec des oeuvres de Lili Dujourie, Barbara et Michael Leisgen et Gary Bigot.
Le collectif d'artistes
« Le Montfaucon Research Center a fait tous ces films mais nous étions des peintres, des poètes, des dessinateurs, des graphistes. On avait très peu de moyens, mais notre travail ne coûtait pas grand chose non plus. On vivait comme ça », dit Joëlle de La Casinière à propos de ce lieu dans lequel elle a vécu et travaillé. À une époque où les ressources étaient rares et les financements publics limités, les collaborations artistiques étaient évidentes et nécessaires. Au Montfaucon Research Center, Joëlle de La Casinière combine son intérêt pour le cinéma et d’autres médias, comme les arts graphiques ou la musique. Elle construit entre autres avec Sophie Podolski, Jacques Lederlin et Michel Bonnemaison un lieu d’artistes où se côtoient différentes disciplines et où il y a toujours quelqu’un·e avec une caméra à la main.
D’une certaine manière, ce sont les collectifs d’artistes qui sont à l’origine des premières expérimentations vidéo. Par exemple, la Fondation Artworker à Anvers, dont font partie Hugo Heyrman, Luc Deleu et Filip Francis, organise le Continental Film and Video Tour en 1973. Cet événement a par la suite donné naissance à l’asbl Continental Vidéo. Certains membres de ce collectif font également partie des Nieuwe Coloristen, un groupe d’artistes haut en couleur qui s’intéresse principalement aux happenings. En 1971, ils transforment un bunker de plage en encrier géant et enregistrent tout le déroulement (Inkpot (1971)).
De l’autre côté de la frontière linguistique, Jacques Lennep, Jacques Lizène, Pierre Courtois, Jacques Evrard et Jacques Louis Nyst créent le Groupe CAP en 1973. Jacques Evrard et Jacques Louis Nyst assurent souvent le rôle de caméraman. Leurs collaborations soulignent l’importance du travail collectif lors des tournages qui nécessitent un équipement technologiquement complexe et surtout très lourd.
Le Groupe Ruptz à Namur est un autre collectif s’aventurant dans la vidéo durant cette période-là. Il est surtout connu pour ses installations « live »: Triptyque (1976) et Expérience du présent (1975). Pour le Groupe Ruptz, la captation d’un événement n’a pas trop d’importance en soi. Marc Borgers, Jean-Louis Sbille et Anne Frère, membres du collectif, empruntent leur matériel au centre culturel namurois. D’autres collectifs, plus dispersés géographiquement, comme Groupe 50/04 et Mass Moving, s’intéressent moins à la vidéo en tant que média à part entière, mais ils y trouvent le moyen de capter leurs performances.
Très souvent, les artistes ne travaillent pas seul·e·s. Barbara et Michael Leisgen opèrent en couple depuis leurs débuts avec Sonnenlinie (1976) et Still life (1970—1971). Jacques Louis Nyst travaille avec Danièle Nyst depuis longtemps, mais ce n’est qu’à la fin des années 1970 et au début des années 1980 que les deux se présentent réellement comme un duo. Par conséquent, un certain nombre de femmes, travaillant souvent dans les coulisses en tant que cadreuses ou monteuses, ne sont pas mises au premier plan ou ne le sont que rarement. Edith Dewitt réalise certaines œuvres en son nom propre, tout en contribuant aux films d’Eric De Volder et de Boris Lehman. Son travail n’a pas toujours eu la reconnaissance qu’il méritait. Anne Frère, membre du Groupe Ruptz, n’est pas toujours citée équitablement dans l’histoire du collectif. Pierre-Olivier Rollin écrit cependant dans sa thèse exhaustive sur le Groupe Ruptz: « Borgers et Sbille reconnaissent que Ruptz aurait pu exister sans l’un d’eux, mais jamais sans Anne Frère. » De la même manière, Nicole Forsbach travaille non seulement comme monteuse pour le Film collectif pour la Biennale de Paris de 1971 avec des séquences de Walter Swennen, Guy Mees, Leo Josefstein, Jacques Charlier, Bernd Lohaus, Panamarenko (1971) de Jacques Charlier, elle programme aussi nombreuses projections de films en tant que fondatrice de l’organisation Art/Actualité à Liège, dont Valley Curtain de Christo (1974). Geneviève van Cauwenberge est quant à elle la force motrice de Vidéo ? Vous avez dit vidéo ? au Cirque Divers à Liège.
L'interdisciplinarité
La vidéo en tant que médium à part entière reste plutôt rare au cours des années 1970. Elle est souvent utilisée en alternance avec des diapositives, des photos ou d’autres documents dans des installations interdisciplinaires afin de raconter une plus grande histoire. L’installation Ping Pong de Philippe Van Snick en est un bon exemple. Van Snick crée des captures d’images de son propre film Scores (1973) et les compile dans le but de composer une nouvelle vidéo. Van Snick explore la qualité de « duplication » qu'offre la vidéo (afin d'obtenir un résultat rapide et direct) plutôt que de jouer avec la technicité du médium en lui-même ou d'en étendre ses possibilités artistiques.
D’autres œuvres oscillent davantage autour de la distinction entre la vidéo comme œuvre indépendante et la vidéo comme simple enregistrement. Les artistes qui font de la performance s’intéressent particulièrement au potentiel de la vidéo, permettant de capturer les happenings et d'autres évènements éphémères. L'œuvre Do you like body art? (1977) de Frank Van Herck illustre cette problématique. En effet, on y voit l’artiste Daniel Weinberger réaliser un numéro de culturisme, dans lequel il ne porte pas de poids, mais bien deux moniteurs sur lesquels apparaît sa propre image. C’est donc sa propre figure que Weinberger soulève. Le Solo for Tumbling Woodblocks (1975) de Filip Francis enregistre également une action répétée à plusieurs reprises, notamment à l’ICC d’Anvers, mais aussi à la Neue Galerie—Sammlung Ludwig d’Aix-la-Chapelle. Un film Super 8 montre un enregistrement qui transmet à la fois la performance et la vidéo.
Cette rencontre entre la performance et la vidéo atteint son apogée lors du Performance Art Festival de 1978. Au Beursschouwburg de Bruxelles, Roger D’Hondt réunit pour l’occasion des artistes nationaux et internationaux. Michael Laub et Edmondo Za (Maniac Productions), Grietje Goris, Hugo Roelandt et d’autres y ont utilisé la vidéo dans le cadre de leurs performances.
Le film Terril (1978) de Jacques Charlier utilise ingénieusement la vidéo. Tandis que le public écoute un concert de son groupe punk éponyme Terril, la caméra filme le concert tel qu’il est dessiné par Charlier en BD. Charlier, comme d’autres artistes, explore ainsi le potentiel de distribution du support vidéo, comparable à celui de la bande dessinée et du livre. Ludo Mich réalise quant à lui un « film-livre » avec 4 (1972). Guy Schraenen, un distributeur de livres d’art et l'un des pionniers du mail art, insère occasionnellement dans sa revue A.X.E un film Super 8 pour ses abonnés.
Bien que la vidéo soit parfaitement propice à la captation de performances et qu'elle s’inscrive dans l’esprit du temps de Fluxus et du Land Art, privilégiant la dématérialisation de l’art, la vidéo lutte surtout pour se forger une place dans l’histoire de l’art. Leo Copers parodie l’œuvre la plus connue de Léonard de Vinci dans la vidéo Mona Lisa, Mona Leo (1974—1975), Lili Dujourie fait allusion au nu pictural dans Hommage à... (1972) et Jacques Lennep—artiste et historien de l’art—crée un dialogue entre la peinture et la vidéo. Sa déclaration artistique la plus pertinente est Vive la Peinture (1975), une œuvre dans laquelle il « peint avec la vidéo ».
Cette interdisciplinarité recherchée décrit bien la relation ambiguë qu’entretiennent les artistes avec la vidéo dans les années 1970. En outre, cela souligne le rôle précaire et souvent expérimental que jouait le médium à l’époque, avant qu’il ne se mue en « art vidéo » à part entière dans les années 1980 et qu’il dépasse définitivement son stade embryonnaire.
Commissaires
Dagmar Dirkx, Niels Van Tomme
Recherche
Dagmar Dirkx, Sofie Ruysseveldt, Erien Withouck
Recherche d'images
Emma Vranken, Daniel De Decker
Edition de texte
Anthony Blampied, Dagmar Dirkx, Inge Coolsaet, Laurence Alary, Niels Van Tomme, Björn Gabriëls
Traductions
Gorik de Henau (NL), Anne Lessebi (FR), Björn Gabriëls (EN)
Coordination du site web
Emilie Legrand
Conception et graphisme
Studio Le Roy Cleeremans
Website
Waanz.in
Éditeur
Niels Van Tomme / argos vzw
Archives
M HKA / ICC, New Reform Gallery / Roger D’Hondt, KMSKB, BOZAR, Art & Actualité, Jacques Charlier, Joëlle de La Casinière, Eric de Moffarts, Geneviève van Cauwenberge, argos, SONUMA
Bibliographie
Johan Pas, Beeldenstorm in een spiegelzaal. Het ICC en de actuele kunst 1970—1990, Lannoo Campus, 2005, 300 p. Jean-Michel Botquin (dir.), Le jardin du paradoxe. Regards sur le cirque divers àLiège, Yellow Now / Côté Arts, 2018, 448 p.
Numérisation
Onno Petersen, D/arch, CINEMATEK, VECTRACOM
argos remercie
Andrea Cinel, Anne-Marie Rona, ArtTouché, Chris Pype, Dominique Castronovo, Eric de Moffarts, Evi Bert, Guy Jungblut, Jean-Michel Botquin, Joanne Jaspart, Katarzyna Ruchel-Stockmans, Lastpost / Fabri3Q, Leen Bosch, Liesbeth Duvekot, Maryse Tastenhoye, Nadja Vilenne, Sandy Reynaerts, Veronique Cardon et tous les artistes, commissaires et chercheurs qui ont participés au projet de recherche
argos c'est
Amit Leblang, Anaïs Bonroy, Anne Leclercq, Dagmar Dirkx, Daria Szewczuk, Dušica Dražić, Eden Lamaizi, Femke De Valck, Francisco Correia, Guy Verbist, Hadrien Gerenton, Iakovos Sierifis, Indigo Deijmann, Inge Coolsaet, Isaac Moss, Jana Van Brussel, Jonas Beerts, Julie Van Houtte, Julia Wielgus, Katia Rossini, Katoucha Ngombe, Kevin Gallagher, Kianoosh Motallebi, Laurence Alary, Mar Badal, Maryam K Hedayat, Mélanie Musisi, Natalya Ivannikova, Niels Van Tomme, Rafael Pamplona, Riet Coosemans, Sander Moyson, Stijn Schiffeleers, Viktor Simonis, Yoko Theeuws
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